Un lundi soir un peu pluvieux. Des gens se pressent dans le quartier Saint-Germain, à la poursuite du temps perdu:
mais où vont-ils donc tous ? Ils semblent tellement décidés, sûrs d'eux et de leurs motivations.
Une porte poussée: entrée dans un lieu paisible et beau. Des flâneurs, des admiratifs, des jeunes, des chrétiens admirent, réfléchissent ou prient. Ils sont loin de l'agitation du dehors, mais ils semblent bien plus présents au Monde.
Une inclination, un moment sur une chaise, vers le milieu de la nef: saisi par la beauté du lieu, le calme qui s'en dégage, les quelques jeunes recueillis de ci, de là. Il est là, ils sont là, qui accueillent en souriant... spirituellement. C'est la première étape, le premier pas: des retrouvailles, une prière et une joie. Ceux qui sont partis un peu trop tôt, les amis qui sont passés et ceux qui sont arrivés, qui comptent vraiment, trottent et se bousculent dans la tête.
Des mains s'ouvrent, devant, au premier rang: un geste sincère.
Un flash du monde extérieur resurgit. Mais l'agitation et les occupations de la journée paraissent déjà loin. Un cierge s'allume, une coupe se dresse. C'est le signal, un appel, il faut s'avancer, avancer vers l'autel. C'est un grand jour.
Un croisement avec des badauds, des regards étonnés: peuvent-ils comprendre ce mouvement, nos motivations ? Ils semblent en tout cas sensibles à l'art et à la quiétude de ce lieu.
Quelques marches, le fond de la nef, qui se remplit doucement. Un prêtre âgé qui prépare posément un évènement. Le lieu est simple dans sa beauté, sobre et imposant: il convient parfaitement. Le costume est laissé à l'entrée, tous ont l'air vrais dans leur démarche, et surgissent des deux côtés. Deux jeunes prêtres arrivent : étonnement, sourires.
Un son de cloche, ils s'avancent, respirent une joie intérieure. Peu de chants, mais une ferveur dans les paroles prononcées. Ils sont venus d'une bonne situation, d'une faculté, d'une école ou d'ailleurs. Mais ils sont vraiment venus, corps et âme, et se tiennent tous ensemble.
Tout s'enchaîne merveilleusement: mais pourquoi est-ce si différent du dimanche ? Peut-être l'effet de la liberté: l'absence d'obligation à cet office en ferait-il un geste plus vrai ?
Le mystère de cette Croix, glorieuse, qui rachète tant de choses humaines, ce départ "imprévu" mais inévitable, qui ouvre sur tant de bonheur, après tout: quel à-propos. Et tous pourront ainsi être appelés à participer à ce tourbillon d'amour. A chacun son heure, l'essentiel est que l'on finisse par être tous rassemblés.
Le moment est venu: quelques mots à son attention. Un élan d'affection, comme il dit, tout simplement, c'est tout à fait cela qu'il faut exprimer, plus qu'une mémoire à honorer, ou qu'une simple intercession.
Un mouvement vers l'autel: il n'y a pas que l'assemblée qui s'avance, elle en emporte d'autres, elle en entraîne dans son élan, dans sa quête et par son Histoire: quel symbole émouvant et rassurant à la fois.
Cette beauté, cette attention, cette participation: il faudra s'en souvenir. Est-ce un nouveau départ: mais dans quelle direction ? L'essentiel est peut-être d'accepter de mettre cet élan, et cette destination, encore inconnue, au pied de cette Croix glorieuse.
L'assemblée s'en va à reculons, comme à contrecœur, entraînant avec elle les prêtres, restés un moment à l'écoute.
Un cierge qui s'allume: sa flamme saura mieux dire tout ce qui n'a pas été exprimé. Le moment est venu de retourner dans le monde trépidant.
Une pause dans ce lieu qui en a inspiré plus d'un, un verre de ce vin des hommes: le devoir de mémoire aura été transcendé en une joie, une fête du souvenir.
Cyril LC.
Clé de lecture : ce récit correspond à la messe du 26ème anniversaire du décès de mon père, que j'avais fait célébrer en l'église Saint-Germain des Prés, avant de d'écrire celui-ci au café de Flore.